À ces mots, certains d'entre eux commencèrent à être effrayés et ils se signaient à toutes mains pensant que c'était un diable déguisé. Et l'un d'entre eux, nommé Bon Jean, capitaine des francs-taupins, tira son livre d'heures de sa braguette et cria assez fort :
« Dieu est saint ! Si tu es de Dieu, parle ! Si tu es de l'Autre, va-t'en ! » Mais il ne s'en allait pas. Plusieurs de la bande entendirent cela et ils quittaient la compagnie pendant que Gymnaste observait et analysait le tout.
Il fit donc semblant de descendre de cheval, et quand il fut en suspens côté montoir, il fit souplement le tour de l'étrivière, son épée bâtarde au côté. Etant passé par-dessous, il s'élança en l'air et se tint les deux pieds sur la selle, le cul tourné vers la tête du cheval, puis il dit : « Mon affaire va à l'envers ! »
Alors, dans cette posture, il fit la pirouette sur un pied, et tournant à gauche, retrouva impeccablement sa première attitude, sans en rien changer. Alors Tripet dit :
« Ah ! je n'en ferai pas autant pour le moment, et pour cause !
– Merde ! dit Gymnaste ! J'ai raté. Je vais reprendre ce saut. »
Alors, avec beaucoup de force et d'agilité, il fit, en tournant à droite, la pirouette comme auparavant. Cela fait, il mit le pouce de la main droite sur l'arçon de la selle et souleva tout son corps en l'air, soutenant tout son poids sur le nerf et le muscle du pouce en question, et dans cette attitude tourna trois fois sur lui-même; à la quatrième, se renversant tout le corps sans toucher à rien, il se plaça entre les oreilles du cheval, tout le corps figé en l'air sur le pouce de la main gauche, et fit dans cette posture un tour en vrille. Ensuite, frappant du plat de la main droite au milieu de la selle, il donna une impulsion telle qu'il s'assit sur la croupe, à la façon des dames.
Cela fait, bien aisément, il passa la jambe droite par-dessus la selle et se mit dans la posture du chevaucheur, sur la croupe.
« Mais, dit-il, il vaut mieux que je me mette entre les arçons. »
S'appuyant donc à la croupe, devant lui, des pouces des deux mains, il se renversa cul par-dessus tête, en l'air, et se trouva solidement installé entre les arçons. Puis d'un sursaut, il souleva tout le corps en l'air, se tint ainsi, pieds joints entre les arçons, et là tournoya plus de cent fois, les bras en croix, tout en criant à voix haute : « J'enrage, diables, j'enrage, j'enrage ! Tenez-moi, diables, tenez ! »
Tandis qu'il évoluait ainsi, les maroufles en grand ébahissement se disaient l'un à l'autre : « Par la Mère Dieu ! C'est un lutin ou un diable déguisé de la sorte. Des entreprises du Malin, délivre-nous, Seigneur ! ». Et ils prenaient la route en courant, regardant derrière eux comme un chien qui emporte un aileron de volaille.
Alors, Gymnaste, voyant son avantage, descend de cheval, dégaine son épée et, à grands coups, chargea les plus farauds, qu'il renversait en gros tas, blessés, défaits, meurtris, sans que nul ne lui résistât, à la pensée que c'était là un diable affamé, tant à cause des merveilleuses acrobaties qu'il avait faites, qu'à cause des propos tenus par Tripet qui l'avait appelé pauvre diable ; seul Tripet voulut par traîtrise lui fendre la cervelle d'un coup de son épée de lansquenet, mais comme il était bien casqué, il ne sentit que le poids du coup et, se retournant brusquement, il estoqua ledit Tripet et, pendant que celui-ci se couvrait en haut, il lui tailla d'un seul coup l'estomac, le côlon et la moitié du foie, ce qui le fit tomber sur le sol, et il rendit en tombant plus de quatre potées de soupe, et l'âme mêlée à la soupe.
Sur ce, Gymnaste se retire, pensant qu'il ne faut jamais persister à tenter le hasard jusqu'à ce que le vent tourne et que tout chevalier se doit de traiter sa bonne fortune avec discernement sans la violenter ni en abuser. Et, montant sur son cheval, il piqua des éperons, prenant son chemin tout droit vers La Vauguyon, accompagné par Prelinguand.
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